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Dans le silence

 

Voilà, le visiophone crache ses derniers grésillements, et le silence se fait. Louise vient de s'endormir, ne reste plus que moi.

 

Je ramasse quelques jouets, qui traînent près du tapis, un hochet, un bavoir sale, le livre que j'ai lu en la gardant. J'aime ça, m'installer près d'elle, et lire à voix haute mes propres livres, pendant qu'elle rit, ou explore le monde.

 

Un coup d’œil dans la cuisine ; un, deux, trois, quatre biberons dans l'évier. Bien, il en reste assez pour demain matin, la vaisselle peut attendre un peu. Un, deux, trois, quatre bananes qui brunissent : par contre il est grand temps de lancer une compote.

 

Pendant que les vapeurs sucrées envahissent le salon, je m'assoie, je me laisse le temps de respirer, de relâcher la pression, celle qui s'est accumulée insidieusement dans mes épaules toute la journée. J'observe cette pièce, qu'on avait du mal à emplir à deux, et qui maintenant déborde de couleurs et de matériel pour bébé. Est-on jamais vraiment content de ce qu'on a ?

 

Je réfléchie, je pèse des pour et des contre, je rédige des listes dans ma tête, celles que j'oublierais dès que la nuit sera tombée. Mon esprit comble le silence, le vide ; seule la course effrénée de l'horloge se rappelle à moi. Ce bruit me rend folle, mais, peut-être parce que c'est le seul qui ponctue mes soirées, je n'ai pas encore réussie à m'en débarrasser. 

 

Mon mari me manque, ma fille me manque. Je m'étonne de ces contradictions incessantes. N'est-ce pas moi qui, quelques minutes plus tôt, surveillait avidement du regard le moment où la demoiselle se frotterait discrètement les yeux ? Et maintenant je donnerais tout pour l'entendre rire une dernière fois, pour que la journée ne soit pas finie. 

 

Le soir tombe, et je n'ose pas bouger. Il faudrait au moins que je me lève pour allumer les lumières, mais j'aurais l'impression de briser quelque chose. Il y a deux phases dans mes soirées, celle où je prépare un biberon en chantant la chanson des éléphants à un bébé souriant, et celle où je prépare le lendemain, la box du midi et la chemise à repasser, avec en fond sonore une émission débile. Et entre les deux, il y a ce moment suspendu, un peu entre deux mondes, un peu hors du temps, de mon temps,  celui qui court et ne voit pas passer les jours. Il y a ces quelques minutes où le silence vient, m'apaise et pourtant me prend à la gorge. 

 

Des dizaines de mamans révéraient de ces quelques minutes volées, de cette solitude où je pourrais m'accorder n'importe quoi. Peut-être que moi aussi, si mon mari était en train de râler sur le menu du dîner et que ma fille hurlait depuis sa chambre pour ne pas dormir, peut-être, surement même, que je voudrais de ces quelques minutes. Mais, là tout de suite, je voudrais juste serrer l'un ou l'autre dans mes bras...

 

Le téléphone sonne et brise le moment. Je vais répondre à mon mari, lui dire que tout s'est bien passé, que oui elle s'est endormie tranquillement ; je lui dirai d'être prudent en rentrant cette nuit, et que je l'aime. Puis je monterai discrètement entrouvrir la porte de la chambre d'enfant, vérifier que tout va bien, parfois même m'approcher timidement du lit pour voler un dernier baiser sur sa tête toute douce. Alors je respire un grand coup, la vie recommence.

 

"Allo chéri."

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