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L'ombre derrière la maternité

S'il y a une chose à laquelle la société ne nous prépare pas quand on devient mère, c'est bien au risque que tout ne soit pas qu'amour, joie absolue et bonheur démesuré. Bien sûr, on nous prépare aux nuits écourtées, aux pleurs incompréhensibles et aux montagnes de linge sale. Mais malgré ces "légers" désagréments, nous DEVONS être heureuses d'être mères : la maternité est un cadeau que l'on se doit de recevoir avec le sourire !

 

Pour ma part, on m'avait bien préparé aux petits problèmes. Ma sage-femme avait même trouvé cinq minutes pour évoquer le fameux baby-blues, cette chute d'hormones quelques jours après l'accouchement, s'accompagnant généralement d'une petite déprime passagère. Je ne l'ai pas eu. Une chance, me direz-vous ! Je rentrais alors chez moi, toute joyeuse, mon bébé en parfaite santé dans les bras, et l'impression que je maîtrisais parfaitement ma nouvelle vie : ma maternité s'annonçait radieuse !

 

Et elle le fût, pendant un mois. Un mois où je survolais tout, où je trouvais le temps d'enfiler un joli haut et de me maquiller tous les matins, histoire de sortir mon beau miracle de quelques jours faire le tour du village en poussette; un mois où je me levais dix fois par nuit avec une facilité déconcertante, et où nous avions même trouvé des jeux à faire lorsque bébé refusait de dormir à deux heures du matin ; un mois où je rayonnais, où je me passais aisément de siestes la journée, et où je trouvais même le temps d'avancer mon travail en vue d'une reprise. Bref, un mois parfait. TROP parfait ...

 

Au bout de ce premier mois, quelque chose s'est sournoisement insinué dans ma maternité, et a commencé à ronger le bonheur établi. Les coliques de bébé, loin de s'atténuer avec le temps, ont commencé à gagner en intensité, puis en durée, jusqu'à en arriver à plus de dix heures de hurlements incontrôlés par jour. Les siestes se sont littéralement volatilisées, et mon bébé qui dormait si bien entre deux tétées, ne fermait plus l’œil que pour quelques minutes entre deux crises de larmes. Moi qui avait pris l'habitude de la poser sereinement dans son berceau pour me préparer ou avancer quelques tâches quotidiennes, j'en étais réduite à passer la journée à bercer un bébé que rien ne calmait.

 

Épuisée, mon allaitement, qui avait pourtant si bien débuté, devenait de plus en plus une corvée. Je décidais de me laisser tenter par quelques biberons, mais bébé tomba malade, ce qui empira le phénomène. Une simple petite gastro, nous dira la pédiatre, une petite gastro qui passa vite, mais laissa derrière elle encore plus de pleurs. J'étais détruite par la fatigue, mes nerfs étaient à vif d'entendre des cris toute la journée, je ne sortais même plus prendre l'air tellement je m'effondrais.  

 

A l'épuisement se rajouta la honte, un jour où je décidais de dépasser un peu mon enfermement. J'invitais des amis à déjeuner, mais bébé ne cessa pas de pleurer une seule minute. A la tête de mes amis, je sus vite qu'il était temps d'écourter la journée : merci d'être passés, à dans très longtemps ! Je me retrouvais seule chez moi, mon bébé hurlant toujours dans mes bras, avec l'impression d'avoir gâché le dimanche de pas mal de monde.  Ma maternité idyllique s'était définitivement transformée en prison, et les visites au parloir étaient un enfer pour mes proches. Je me retrouvais enfermée des heures entières, des jours entiers, seule avec des cris et des pleurs, ceux de ma fille, et rapidement, les miens aussi.

 

Très vite, je devins hypersensible aux cris de mon bébé. Le moindre début de pleurs faisait exploser un fusible dans ma tête, je devenais folle, je pleurais avant même que Louise ne se mette à hurler. Ses cris me donnaient littéralement envie de me jeter par une fenêtre. Les crises d'angoisse s’enchaînaient à une vitesse folle. Je me retrouvais à poser ma fille en pleurs dans son berceau, des heures durant, tandis que moi je pleurais de désespoir sur le sol de ma cuisine, le plus loin possible d'elle. Je dormais dans le salon pour ne plus avoir à m'en occuper la nuit, et quand mon mari était au travail, le mode robot prenait le relais, sans aucun sentiment : biberon, couche, dodo, quand ce n'était pas cris, larmes, hurlements.

 

Pour échapper à tout cela, il fut rapidement décidé que je reprendrais le travail. Si je pensais que n'avoir à m'occuper de ma fille que quelques heures par jour améliorerait les choses, il n'en fût rien. Si j'éprouvais un soulagement intense en quittant la maison au petit matin, ma journée se déroulait dans un stress permanent. Il m'arrivait souvent de m’effondrer en larmes juste à l'idée que j'allais devoir rentrer chez moi le soir venu. Je gardais la face devant mes collègues, mais je fuyais toute forme de sociabilité, pour ne pas avoir à en parler.

 

Pourquoi mentir ? Pourquoi, lorsqu'on me demandait comment j'allais avec mon nouveau-né, je répondais toujours d'un air détaché "parfaitement bien, elle est fantastique" ? Justement parce que dans nos sociétés, il n'est pas concevable de ne pas être épanouie par notre maternité. Déjà que j'avais l'impression d'être jugée pour être revenue si tôt au travail, je ne comptais pas y rajouter ma culpabilité. Une culpabilité insidieuse, un poison qui me dévorait encore plus, cette impression d'être une mère affreuse, incompétente, dénuée de toute aptitude maternelle, et de tout amour pour mon bébé. Je me disais que si les gens l'apprenaient, ils me prendraient pour une folle, et n'auraient-ils pas raison ? Après tout, alors que j'avais tant désiré cet enfant, je n'arrivais plus à l'enlacer, à la bercer, à l'apaiser, à l'aimer. Ma maternité était devenue mon enfer, et je ne pouvais m'en échapper.

 

Il m'aura fallu plus d'un mois pour poser enfin des mots sur cela : je n'étais pas folle, je n'étais pas une mère affreuse, j'étais atteinte par de dépression post-partum.  Cette dépression maternelle dont on ne parle pas, parce que "ça fait peur aux jeunes mamans", et puis de toute manière "c'est pas si courant que ça". UNE FEMME SUR DIX ! 10% des mamans passent par une phase de dépression plus ou moins importante dans les premières années de vie de leur enfant, et ce n'est pas assez important pour être écrit noir sur blanc dans les livres de puéricultures ?! Pour mériter quelques mots pendant les cours de préparation à l'accouchement ?! Je ne peux pas m'empêcher de penser que si on m'en avait parlé, si on m'y avait préparé un tant soit peu, peut-être aurais-je réagi plus tôt, peut-être n'aurais-je pas perdu un mois entier, un mois de ma vie, mais surtout un mois de la vie de ma fille.

 

Me voilà donc, un soir, dans la salle d'attente des urgences psychiatriques. Une psychiatre me reçoit, et elle fait enfin ce que j'attendais depuis des semaines : elle m'écoute, sans juger, sans crier au scandale quand je lui dit que j'ai laissé Louise pleurer, sans me faire interner de force pour avoir envisagé de partir. Encore mieux, elle me déculpabilise, elle me replace dans mon rôle de maman, avec ses difficultés et ses réactions NORMALES. Oui, les pleurs de bébé peuvent être une véritable torture, le cerveau n'est pas fait pour encaisser autant. Oui, parfois quelque chose disjoncte dans la tête des mamans, et le corps se met en mode automatique. Oui, les larmes ont le droit de couler, la bouche a le droit de hurler, parce qu'il faut bien évacuer, parce qu'à force d'accumuler la souffrance de mon bébé, c'est moi qui étais en souffrance

 

La psychiatre me propose des anxiolytiques pour les crises, et un suivi pour le long-terme. Je n'aurais pas eu besoin de tout cela, parce qu'en parler m'avait fait comprendre que non, ce n'était pas moi qui n'était pas assez forte pour supporter les cris, c'est mon bébé qui criait trop, trop fort, trop longtemps, et ça n'était pas de sa faute. Dans la foulée, j'auto-diagnostique le fameux problème de santé de ma fille (nous y reviendrons dans un prochain article), et en moins d'une semaine, les pleurs cessent. Un jour, je me surprends à sourire à ma fille. Je re-aime, je redécouvre un bébé qui a bien grandis depuis, et je prends plaisir à être mère, à nouveau. 

 

Je ne me déferai certainement jamais de cette culpabilité d'avoir loupé un mois de la vie de ma fille. Pire, de ne pas avoir su voir plus tôt qu'elle souffrait, que quelque chose n'allait pas, mais de m'être rendue malade à la place. Mais aujourd'hui je n'ai plus peur, plus peur de dire que non, tout n'a pas été parfait dans ma maternité. Oui, je suis passé par une phase de dépression, et cela a fait de mois une mauvaise mère, mais pour un temps seulement. Parce qu'il n'y a pas de honte à vivre cela, il n'y a qu'une maman qui a fait de son mieux. Alors j'en parle, parce que les mots ouvrent la parole, et je me rends compte que non, je ne suis pas seule. Derrière toutes ces photos instagram de bébés souriants, se cachent des tas de mères qui ont un jour connu la difficulté d'être maman.

 

Il y a eu une ombre derrière ma maternité, mais elle m'a juste rendue plus forte !

Il y a une ombre derrière une maternité sur dix, et en parler, c'est dire au monde que ce n'est pas une honte, c'est un combat dont on est sorties victorieuses !

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Commentaires: 1
  • #1

    Sabine Frezabeu (mardi, 04 juin 2019 07:54)

    Très beau témoignage sur la souffrance des mamans.... �